Pourquoi les oranges sont vertes ? Comment expliquer que les tomates soient aussi chères en saison des pluies ? Combien y a t’il de sortes de Bananes ? Pour répondre à ces questions, Touskibouge vous emmène à la découverte de la filière maraichère et fruitière de l’île.
Un paysage agricole varié, témoin des modes de culture entre tradition et modernité
La majeure partie des fruits et légumes que nous trouvons sur les marchés proviennent de Mayotte. De manière générale les deux productions, entre tradition et modernité, se portent assez bien. « Grâce à cela, pendant les grèves de 2016, on a pu continuer à se nourrir » s’enthousiasme Luc Vanhuffel, encien ingénieur en production maraichère à la Chambre d’Agriculture (CAPAM).
En matière de production fruitière, il n’y a pas à proprement parler de verger. Les arbres fruitiers sont disparates dans un système agro forestier étager, mêlant arbres, bananes, tubercules et légumes. L’amélioration des pratiques de taille, l’irrigation, la diversification des variétés permettra de développer l’offre fruitière. C’est dans ce sens que la Chambre d’Agriculture, le Conseil Départementale et la Direction de l’Agriculture accompagnent les agriculteurs.
Il y a deux types de production de légumes à Mayotte : l’agriculture vivrière qui désigne la culture de féculent comme les bananes ou le manioc et la production maraîchère qui concerne les concombres, les tomates et les brèdes.
Une filière jeune qui tend à se développer entre tradition et modernité
Si Mohamed Ahamed a un poste de fonctionnaire dans l’éducation à l’environnement, il cultive aussi une parcelle à Combani. « C’était le champ de mon père que nous nous sommes partagés entre frères et sœurs. L’agriculture, c’était son métier ! Il nous y a initié dès le plus jeune âge. Je continu à travailler la terre avec ma femme et mes enfants, explique ce passionné. Nous produisons essentiellement du manioc mais aussi des avocats, des oranges, des mangues, des bananes et du songe. » L’essentiel de la production est consommée par la famille. « Ce que l’on trouve sur les marchés provient d’agriculteurs qui ont plus de terres que moi, explique-t’il. Moi je vends très peu et directement à des particuliers. J’ai un giroflier mais ça c’est pour les amis. On se fait un. petit moussada et hop. On a des carafou (clous de girofle) pour deux ou trois générations»
Mohamed Ahamed voulait faire de l’agriculture son métier. Il a été découragé par les difficultés que cela représentait. Aujourd’hui, avec son frère éleveur, ils ont pour projet de pérenniser leur activité, l’un en production animale et l’autre en production fruitière. « J’aimerai mettre en place une ferme pédagogique. Il y a un vrai besoin à Mayotte. Dans mon métier d’animateur, j’ai encore assisté, il y a quelque temps, à la surprise de collégiens qui découvraient la récolte du manioc. L’un d’eux pensait même que cela poussait dans un arbre. Mon objectif serait de faire découvrir et valoriser l’agriculture et la nature aux jeunes. Mon terrain s’y prête bien avec la proximité de la forêt et de la piste de Combani. »
Laurent Guichaoua est un agriculteur professionnel installé à Boudraguéla. Il travail avec sa femme et deux salariés. « Sur les 4 hectares que je loue, seulement 2 sont exploitables à cause de la topographie. La production est essentiellement légumière sous abri (tomates, concombres, choux, salades). Nous avons installé 3000 mètres carrés de tunnels maraîchers dont un tiers est exploité en hors sol. » Il produit également des fruits de plein champs (papaye, ananas). Son exploitation est moderne et mécanisée. Ce choix atypique dans le paysage mahorais s’explique par la capacité de cet exploitants a monter des dossiers d’aide pour acquérir du matériel, à avancer les fonds et à la connaissance de l’agronomie.
Toute sa production est apportée à la Coopérative des Agriculteurs du Centre (COOPAC). C’est elle qui se charge ensuite de vendre les produits en gros (grande distribution, armée, restaurants) et au détail dans un magasin de Kawéni. Ce regroupement de professionnels permet de proposer une plus grande diversité de produits qu’en bord de route. « Vu la très grande demande en fruits et légumes sur le marché les deux système coexistent très bien » explique l’agriculteur. Le problème réside avec les importations occasionnelles qui peuvent faire concurrence à ce qui est produit sur le territoire. Il faudrait qu’elles tiennent compte des plannings de production. »
Faire partie d’une coopérative permet de s’entendre sur la nature et le volume des productions. « On réalise des économies d’échelle et on peut proposer des produits à un prix intéressant » explique Laurent Guichaoua.
Le climat mahorais, un frein pour l’agriculture ?
Le climat de Mayotte peut faire penser qu’il est possible d’y produire des fruits et de légumes toute l’année. C’est le cas pour la végétation adapté mais pas pour les espèces originaires des zones tempérées. Pour Luc Vanhuffel, les contraintes sont nombreuses : « Les températures sont très élevées, et les écarts jour/nuit sont peu importants. Les oranges ont besoin de fraîcheur nocturne pour obtenir leur couleur. En l’absence de froid, à maturité elles restent vertes. La durée d’ensoleillement journalière varie très peu au cours de l’année. Cela à un effet sur la croissance et la floraison de certains végétaux. En saison des pluies, les précipitations intenses détruisent les plantes fragiles comme les salades. La forte couverture nuageuse bloque la lumière. C’est un problème pour le melon qui a besoin de beaucoup de soleil. La saison sèche est très marquée ce qui implique des moyens d’irrigation important. D’autres territoires au climat semblables (Madagascar, la Réunion) offrent plus de fraicheur en altitude, cela permet de cultiver des fruits et légumes que le relief de Mayotte ne permet pas. A une température de 32° le pollen du poivron est stérile et à 30° la laitue ne pousse pas. »
Un calendrier saisonnier qui détermine l’offre
La faible diversité d’espèce explique que l’offre soit localisée dans le temps. Ce n’est pas le cas des bananes. Avec plusieurs dizaines de variétés, les fructifications ont lieu toute l’année. Faire pousser des plantes de zones tempérées comme les tomates en plein champ est extrêmement difficile pendant l’été austral. L’offre diminue à ce moment de l’année et les prix augmentent considérablement. « Il est possible de continuer à produire sous abris, explique l’ingénieur de la CAPAM. Leurs rôle est de protéger les légumes de la pluie, mais la température est élevée en dessous. Malgré ces dispositifs, le choux fleur et le poireaux, ne peuvent être produit en saison des pluies. »
Un milieu propice aux maladies et aux ravageurs
L’été, il y a une forte pression de maladies comme le mildiou, l’oïdium et la cercosporiose. « Certaines peuvent détruire l’intégralité de la production d’un exploitant » résume Luc Vanhuffel. Parmi les plus dévastatrices, la bactérie Ralstonia solanacearum qui touche principalement les solanacées (tomates, aubergines, poivrons). Elle se multiplie dans les vaisseaux des plantes et bloque l’alimentation hydrique jusqu’à provoquer son flétrissement total.
Les agresseurs comme les pucerons, les cochenilles et les chenilles sont également nombreux. L’un des plus ravageur est la mouche des fruits et des légumes. « Elle attaque plutôt en saison sèche les tomates et les cucurbitacées, constate l’ingénieur agronome qui suit de près ce ravageur. Les dégâts peuvent être vraiment conséquents ».
A ces contraintes prédominantes s’ajoutent une longue liste de problèmes limitant le développement de l’agriculture mahoraise et l’offre sur les marchés.
Le foncier et la topographie au cœur du débat
Le cadastre est toujours en cours d’actualisation. Le prix des terrains agricoles est très élevé. A cela s’ajoute des contraintes physiques. « Le relief accidenté rend difficile la mécanisation des parcelles et oblige le travail manuel, un facteur important de pénibilité » précise Luc Vanhuffel. L’explosion urbaine accélère le mitage des terres arables. Les agriculteurs vivement rarement sur leurs exploitations et les vols sont fréquents. « Il y a deux ans je me suis fait dérober mon système d’irrigation, explique Mohamed Ahamed. Je dois en racheter un pour reprendre le maraîchage mais cela coûte cher ».
Des infrastructures et des équipements pas assez développés et couteux
« A Mayotte, il y a un manque d’infrastructures agricoles important, nous confie Laurent Guichaoua. Le réseau d’irrigation, de voirie et d’électricité rural est peu développé. Un agriculteur qui s’installe doit tout mettre en place et cela représente des investissements importants. » Souvent, les champs sont très éloignés des réseaux routiers. Cela pose des problèmes pour le transport des marchandises et l’acheminement du matériel. « Ma parcelle est accessible par un véhicule, ce qui rend possible mon projet de développement. C’est un aménagement que nous avons financé mon frère et moi. Des aides sont possibles mais le montage des dossiers est complexe et cela peut prendre pas mal de temps » explique Mohamed Ahamed.
Des contraintes réglementaires qui s’ajoutent au statut encore flou d’agriculteur
à Mayotte, les exploitants n’ont pas droit à la sécurité sociale, à la retraite et ne peuvent pas bénéficier d’assurances. « Le statut d’agriculteur évolue mais lentement. Les salaires sont bas. On comprend que la situation n’encourage pas les jeunes à se lancer » explique Laurent Guichaoua.
« La réglementation en vigueur à Mayotte est souvent mal adaptée au territoire et difficile d’accès. Heureusement des structures existent pour accompagner les agriculteur », expose Luc Vanhuffel.
La qualité de la production : bio, raisonné, conventionnelle ?
Les agriculteurs rencontrés, mettent en place une véritable démarche de qualité. En plus d’être une obligation avec des contrôle fréquents, c’est leur volonté. De manière générale, l’agriculture mahoraise est peu utilisatrice de fongicides, d’insecticides ou d’engrais. Seule 20 % de la production est concernée par l’utilisation de produits. C’est le cas des bananes, du manioc et de la majorité des fruits. Les traitements sont utilisés principalement en culture maraichère. C’est une production à cycle court et à vocation commerciale. Cela explique le soucis des producteurs à son égard. « Les résultats des analyses effectuées sur les légumes répondent majoritairement aux exigences et ne présentent pas de dépassement des limites tolérées de résidus, explique l’agronome de la CAPAM. Mais comme une grande partie de la production est informelle, elle est difficilement contrôlable. Toutefois, les analyses d’eau des rivière des bassins de production maraichers n’ont révélées aucunes traces de résidus de pesticides » rassure l’ex agent de la CAPAM. Il conseil simplement de laver à l’eau les fruits et légumes avant de les consommer.
Malgré les difficultés, l’agriculture se développe à Mayotte et génère de plus en plus d’emplois. Elle est vitale pour limiter sa dépendance à l’approvisionnement extérieur. « La demande fait qu’il faut continuer à encourager la production d’espèces de milieux tempérés. Parallèlement il faut promouvoir les espèces adaptées au climat. Celles-ci sont nombreuses et proposent des goûts très intéressantes », conclu Luc Vanhuffel.