Au Moyen Âge, la civilisation arabo-musulmane a éclairé le monde en matière de navigation, de commerce, de culture et d’artisanat. Les dernières campagnes de fouilles archéologiques menées à Mayotte entre 2012 et 2014 ont complètement changé la vision qu’on avait de l’île à cette période avec la découverte de preuves supplémentaires de l’appartenance de ses habitants à cette civilisation.
Le site de Dembéni, un comptoir de commerce riche et prospère
Les pionniers de l’archéologie comme Claude Alibert et Henri Daniel Liszkowski avaient déjà mis en évidence la prospérité de Mayotte à l’époque médiévale. Ce sont des vaisselles en céramique et en pierre, originaires de Madagascar, d’Afrique, du Moyen-Orient et même d’Asie, retrouvées notamment sur le site de Dembéni, qui les ont orientés sur cette piste. Ils pensaient alors que la richesse de ce comptoir du IXe au XIIe siècle, reposait sur le travail du fer.
En août 2013 et 2014, deux nouvelles campagnes de fouilles ont lieu à Dembéni. Les éléments découverts remettent en question la théorie précédente et laissent penser à une production métallurgique modeste répondant essentiellement aux besoins locaux d’outils et d’hameçons. « Les restes de poissons de grande taille retrouvés sur le site témoignent de techniques de pêche déjà très abouties », explique Halima Ali-Toybou, une étudiante en archéologie spécialisée en archéozoologie. « Quand j’ai appris que des fouilles avaient lieu sur mon île, j’ai tenu à rejoindre l’équipe. Ce fut une expérience très enrichissante pour moi et qui a permis de contribuer à la connaissance de l’histoire de Mayotte ».
L’équipe de fouilles constituée de 12 personnes est dirigée par l’archéologue Stéphane Pradines, un spécialiste de la civilisation musulmane et plus particulièrement de la culture swahilie qui rayonnait sur la côte est de l’Afrique au Moyen Âge. Ils sont soutenus et aidés par la Direction des affaires culturelles (DAC) de la Préfecture de Mayotte, du Conseil général et par l’association des Naturalistes. Cette opération va mettre à jour de très nombreux fragments de cristal de roche originaire de Madagascar. Des éclats avaient déjà été découverts sur le site auparavant sans qu’une véritable interprétation n’ait pu en être faite jusque là.
Stéphane Pradines a également eu l’occasion de travailler sur la période fatimide qui s’étend du Xe au XIIe siècle. C’est à cette époque que sont produits de nombreux objets en cristal de roche par des artisans persans et égyptiens. C’est le cas de certaines aiguières (fines carafes) conservées aujourd’hui dans les musées les plus prestigieux du globe. A partir de la nature et du nombre important de fragments de cristal de roche exhumés sur le site, l’archéologue émet une hypothèse. C’est à Dembéni qu’une partie des blocs bruts provenant de Madagascar étaient préformés et débarrassés de leurs impuretés. Ils étaient exportés puis vendus à des commerçants arabes, juifs ou perses avant d’être ciselés par les plus fins tailleurs de cristal de l’époque. Ils ont donné naissance à des pièces remarquables. Très prisées, certaines furent même christianisées, en témoignent celles conservées au sein du trésor sacré de la basilique Saint-Marc de Venise. Ainsi, des objets d’art parmi les plus beaux et les plus précieux de l’époque médiévale trouvent peut-être une origine à Mayotte.
« Le plus important ce n’est pas forcément l’objet découvert mais l’interprétation qui en est faite. Des éléments qui pouvaient sembler anodins sont revisités et livrent alors toute leur importance. Ce qui est extraordinaire c’est que cette hypothèse a permis de relier concrètement Mayotte au commerce florissant de l’Océan Indien de la période médiévale et au patrimoine archéologique d’une vaste partie de l’ancien monde », s’enthousiasme Édouard Jacquot, le conservateur du patrimoine de la DAC qui coordonne les opérations archéologiques à Mayotte.
Antsiraka Boira, la nécropole d’Acoua
Afin de comprendre l’origine des habitants de Mayotte de l’époque, il a fallu faire appel à l’anthropologie funéraire. « Cette science étudie les squelettes humains, la position dans laquelle ils sont enterrés, les objets présents et l’aménagement de la sépulture », explique Marine Ferrandis, archéologue à la DAC.
D’après la vaisselle d’importation et les perles découvertes sur le site d’Antsiraka Boira, cette zone funéraire peut être datée entre les années 1100 et 1250. Elle se situe à l’extérieur du village d’Acoua occupé à la même époque. Les rituels mis au jour trouvent quatre parallèles principaux. Un premier avec les populations non musulmanes d’Afrique australe où des sépultures contenant des perles indo-pacifiques ont également été découvertes.
Un deuxième parallèle est fait avec les populations malgaches à travers la présence de vases et de récipients aux pieds des défunts. Ces rites sont décrits à la nécropole de Vohémar dans le nord-est et sur la côte orientale de Madagascar. La troisième origine relie les défunts au monde austronésien par l’usage possible d’un cercueil en bois en forme de pirogue. « La position des corps tournés vers la Mecque rappelle quant à elle de rites musulmans. Ces quatre éléments sont le reflet du syncrétisme culturel de la population mahoraise de l’époque », argumente Marine Ferrandis. « Ce qui est atypique à Antsiraka Boira, c’est la présence de mobilier funéraire (colliers et pagnes brodés de perles, coquillages, céramiques remplies de gravillon corallien) proscrits dans le rite musulman. L’hypothèse que nous envisageons est que la nécropole d’Antsiraka Boira est un site témoin de la rencontre des cultures austronésienne (ou proto-malgache) et bantoue, puis de la conversion à l’Islam de ces groupes ethniques à travers les contacts commerciaux entretenus avec les marins swahilis », complète Martial Pauly, doctorant à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales, responsable des campagnes de fouilles d’Acoua en partenariat avec la DAC de la Préfecture et du Conseil départemental et avec le support de la SHAM (Société d’Histoire et d’Archéologie de Mayotte).
Jusqu’au début du XIIIe siècle, le mode de vie de cette population est tourné vers la mer. Les offrandes retrouvées dans les tombes comme les poids de filets de pêche et les grands coquillages tels que le lambis ou le bénitier étayent cette hypothèse. Les fouilles des dépotoirs datant de cette époque ont également confirmé cette exploitation des ressources marines et également une activité agro-pastorale. La population cultivait peut-être le riz, le taro, la banane et élevait quelques chèvres et moutons.
Les ossements de zébus n’apparaissent dans les couches archéologiques qu’au XIIe siècle et ne deviennent importants qu’à partir du XIIIe. C’est le signe de la généralisation de son élevage grâce à l’introduction de cet animal par les marins islamisés qui les acheminaient depuis l’Inde.
Agnala M’kiri, le village médiévale d’Acoua
Au début des années 1200 un changement radical de la structuration et de la culture intervient avec la généralisation de l’élevage du zébu et des constructions maçonnées d’influence swahilie. Ainsi à l’emplacement de l’actuel village d’Acoua, au lieu-dit Agnala M’kiri, est édifiée une petite mosquée et un enclos villageois maçonné. Outre un éventuel rôle défensif, ce dernier sert surtout d’enclos à bestiaux. Mise en évidence par les fouilles, une porte permet de contrôler l’entrée et la sortie du cheptel. Le sol est recouvert de grandes dalles qui résistent au passage du troupeau. Désormais une élite islamisée de culture swahilie s’affirme et la société se hiérarchise davantage. Cela se confirme à du XIVe siècle avec l’apparition d’un quartier aristocratique. Son évolution aboutit au XVe siècle à l’apparition de grandes demeures en pierre organisées autour d’une cour centrale. Ces demeures possédaient une salle d’honneur avec des bancs maçonnés (baraza), une enfilade de pièces et un réduit équipé d’une fosse de latrines.
« Une donnée importante a été révélée par la fouille du quartier des notables d’Agnala M’kiri: la salle d’honneur au baraza qui y a été découverte, évoque un lieu d’exercice du pouvoir, tout comme les places publiques aux Comores. Ici, elle relève d’un espace privé. On peut donc en conclure qu’au XVe siècle, un clan s’est accaparé le pouvoir à l’échelle villageoise. Il s’agit probablement de la mise en place d’un pouvoir local de type chefferie », développe Martial Pauly.
Hormis les perles, les importations à Acoua sont moins nombreuses que sur les sites de la période de Dembéni. Certains y ont vu les signes d’un déclin, alors que cette période se traduit par un essor démographique et la fondation de nombreux villages. « Nous pensons que le rôle tenu par Mayotte dans les échanges régionaux a changé au XIIe siècle. Avec le développement de comptoirs musulmans à Madagascar, Mayotte fut réduite au seul rôle d’approvisionnement des navires. Les perles étaient alors une monnaie d’échange très prisée », illustre l’archéologue de la SHAM. Par la suite, il est fort probable que les notables d’Acoua, participent eux même aux échanges entre Madagascar et l’Afrique swahilie. On imagine de la vaisselle chinoise et des tissus indiens troqués contre du riz et des rabanes de Madagascar, voire des esclaves originaires des hauts plateaux.
Après un déclin amorcé au XVe siècle, le site d’Agnala M’kiri est définitivement abandonné au XVIIe. La tradition orale attribue cela à une guerre entre le chef d’Acoua et celui de Mtsamboro. Ces rivalités, alors très courantes dans l’archipel, ont permis d’établir la domination de Mtsamboro puis d’un sultanat à Mayotte.
Des recherches à poursuivre, à approfondir et à valoriser
Pour continuer ces investigations, il faut maintenir le cadre qui permet aux chercheurs de faire leur travail dans des conditions satisfaisantes mais aussi exigeantes. « C’est en cela que la DAC de Mayotte intervient. Elle mobilise les budgets nécessaires à l’avancée des programmes de recherches, elle fournit du matériel, réunit les équipes, assure l’encadrement administratif et le contrôle scientifique et technique des opérations, explique Edouard Jacquot. Notre action s’est également orientée vers la valorisation de ces découvertes auprès du grand public grâce à des expositions, des publications et des mallettes pédagogiques. Un effort particulier est réalisé auprès des enfants qui sont un relais privilégié de ces travaux et qui seront les archéologues et les décideurs de demain ».
Le site d’Antsiraka Boira n’a certainement pas livré tous ses secrets. « Il serait intéressant d’élargir le périmètre de fouilles sur ce site ce qui pourrait permettre d’améliorer notre connaissance de la société mahoraise du XIe-XIIe siècle. Antsiraka Boira n’est certainement pas le seul témoin de cette période mais offre, grâce à l’excellente conservation des vestiges, un fort potentiel archéologique dans un cadre encore relativement préservé de l’urbanisation », conclut Martial Pauly.